Je vais faire une métaphore (quand les livres sont exceptionnels j'utilise toujours une métaphore)
Avec ma précédente lecture "Hitler" de Johann Chapoutot et Christian Ingrao, je pensais que mon ignorance sur le nazisme était un lac.
J'ai déjà beaucoup appris, surtout que comme un lac d'eau claire le propos fut limpide.
Avec ce présent livre, je découvre que mon inculture et mon ignorance sur le nazisme sont plutôt de taille océanique !
Je vais vous donner un exemple avec les relations Allemagne<->Grèce dont les impacts s'étendent la question de la dette aujourd'hui.
À la Renaissance et au XIXe siècle, quand le sentiment national prend forme, la France s’inspire de Rome. Le référent culturel, le modèle antique prestigieux, c’est Rome. Le français, c’est du latin. Le catholicisme est d’une certaine manière la prolongation de l’Empire romain. Les réformateurs allemands, emmenés par Luther, combattent Rome la catholique, mais aussi la Rome impériale. Au XIXe, quand la nation allemande émerge, on se tourne naturellement vers la Grèce
La Grèce représente la pensée, l’authenticité, la véracité ultime.
Pour Hitler, c’est très simple quand il lance : « Nous les Germains, nous n’avons pas de passé, ou notre passé ce sont les Grecs. » Selon lui, ce sont des Germains qui auraient migré du nord vers le sud. Platon est un Germain, intronisé ultime vigie de la civilisation germanique."
Hitler décide, en avril 1941, d’envahir la Grèce. Les journaux allemands décrivent un pays et une réalité bien différents de ce qu’ils imaginaient. Comme d’habitude, les journalistes entonnent le chant de la victoire, mais ils constatent que la Grèce ne ressemble pas à ce qu’ils croyaient. Ils pensaient découvrir des Aphrodite et des Apollon à chaque coin de rue et ils découvrent des « Levantins crépus ».
La Méditerranée est décrite comme une zone irrémédiablement dégénérée d’un point de vue biologique.
les Allemands vont quand même envoyer des expéditions anthropologiques de la SS dans la région de l’antique Sparte, pour photographier les gens dans les bistrots et se réjouir de trouver, ici ou là, un grand blond aux yeux bleus. Ils cherchent une trace de la présence germanique des origines. Cette déception va se traduire par une occupation absolument terrible, fondée sur un mépris raciste épouvantable et la naissance d’une haine réciproque qui reste vivace.
Plusieurs gouvernements grecs ont réclamé après la guerre des réparations non seulement pour les massacres commis, mais aussi pour les emprunts forcés, les pillages, les prédations, etc.,
Le coût de l’occupation en Grèce – humain, culturel, économique – est incomparable avec ce qui a pu se passer en France. Disons que ce qui s’est passé en France, en mai-juin 1944, avec Oradour-sur-Glane, Dortan, Maillet, et tous ces villages martyrs, a été une exception au fond, au moment des grandes difficultés issues du débarquement, mais cela a été la règle en Grèce pendant toute l’occupation de 1941 à 1944.
il y a eu le plan Marshall, mais aussi cet accord de Londres, en 1953, qui est une annulation des dettes de l’Allemagne.
[...] participent, évidemment, à cet accord tous les créanciers de l’Allemagne de l’époque, et notamment la Grèce, qui, pour des raisons politiques et géostratégiques, voulait éviter que l’Allemagne, par misère sociale, ne tombe dans le giron communiste ; c’est la logique du plan Marshall."
La Grèce fait l’effort d’annuler toutes ses créances à l’égard de l’Allemagne. Ce geste magnifique a permis – les Allemands doivent s’en souvenir aujourd’hui, tout de même – la reconstruction de l’Allemagne et ce supposé miracle économique dont les Allemands sont si fiers.
Édifiant non ?
Comment comprendre la mauvaise réception en Grèce des injonctions allemandes sur la dette de nos jours sans connaitre l'histoire ?
Et ceci n'est contenu que dans deux chapitres du livre !
CHAQUE chapitre fut une découverte considérable.
Quelques autres thèmes :
On connait le conflit franco-allemand, mais quid de la Révolution française et de ses idées de droits de l'homme et d'universalisme ?
La pensée nazie, la vision du monde ?
Le droit nazi. On n'imagine pas un état de droit n'est-ce pas ? Pourtant les juristes furent une part importante de l'appareil étatique nazi.
Lisez le livre pour comprendre la nature de ce paradoxe et comment les juristes ont influencé le fonctionnement de l'appareil nazi.
L'"inéductabilité" du régime nazi
L'utopie nazie. Sujet tellement important que cela sera approfondi avec ma prochaine lecture : "La promesse de l'Est. Espérance nazie et génocide (1939-1943)" de Christian Ingrao
Les "valeurs" nazies
La jeunesse
et bien plus
Le livre est une sorte de résumé / condensé des recherches / livres de Johann Chapoutot dans tous ces domaines et bien plus.
Il se termine sur des notes plus personnelles du rapport de l'historien face à son sujet d'étude, face à la société actuelle et nos comparaisons "c'est comme les années 30".
Le propos est clair, structuré, éclairant, passionnant.
La balance entre synthèse et détail est très bonne.
Il y a même des anecdotes pour illustrer le propos (exemple : le journal intime de la fille de Heinrich Himmler)
Petits bémols sur la forme uniquement
Il y a forcément un peu de répétition : il y a des articles et des retranscriptions d'interview
On sent quand même que le contenu est organisé pour éviter les propos redondants
Il y a des interviews lors d'émissions Johann Chapoutot est extrêmement structuré. Il expose toujours clairement ses idées et résultats de recherche.
Lors des émissions, des extraits de films ou radiophoniques ont été passés
pas de lien pour consulter le média (en eBook cela aurait été un plus !)
Pas de retranscriptions de certains dialogues des dits passages. Dialogues qui sont commentés juste après
Conclusion
Je ne savais RIEN.
J'ai appris des chronologies, vu des documentaires (j'en mesure maintenant la "qualité").
Lisez ce livre (ou "Hitler"). il y a en effet un point important qu'il vous faut saisir :
Le nazisme était-il vraiment le monstre "hors-sol" ou plutôt "Hors époque" que certains dépeignent ?
La réponse est importante pour nous européens, occidentaux, humains ...
Et cette réponse vous la trouverez dans ce livre (me voilà bien péremptoire, mais j'en suis convaincu)